Édito - L'audit par les pairs ne doit pas être une activité de façade
LUNDI 13 NOVEMBRE 2023
Réputé pour sa recherche perpétuelle de qualité, le secteur de la radiologie est tenté ces derniers temps, d'autoriser des pratiques peu dégradées. Répondant au problème de conjoncture démographique du secteur, certains ont en effet pris le parti d’adopter ces procédés afin d’assurer leur niveau d’activité. À l’heure où les audits par les pairs se mettent en place, cela fait désordre...

La spécialité de radiologie et d’imagerie médicale, tant diagnostique que thérapeutique, a atteint, en quelques décennies, des niveaux de technicité et des évolutions scientifiques inégalées dans le domaine médical.
Une discipline qui s’est construite dans le respect de la qualité des pratiques
Au regard d’une évolution qui n’a pas encore atteint son maximum, la discipline, qui comporte de multiples facettes, est de plus en plus sollicitée dans les parcours de soins des patients, la multiplication des autorisations d’installation de modalités en atteste. Mais cette fuite en avant ne peut se faire qu’en assurant une qualité de prise en charge approfondie, au risque de voir le progrès constaté se retourner contre ce à quoi il est destiné, à savoir la Santé des populations pour lesquelles les professionnels de la radiologie se sont engagés.
Le législateur a, très tôt, encadré la discipline qui, à une époque, avait besoin de réguler les émissions de rayons X, seuls agents physiques utilisés pour explorer les corps malades et les traiter le cas échéant. Le Conseil national de l’ordre des médecins verrouillait également les pratiques afin que seuls les radiologues, médecins nucléaires et radiothérapeutes – de même quelques autres spécialistes ciblés - compétents puissent exercer leur art de manière très formelle, aidés en cela par des manipulateurs d’électroradiologie médicale (MERM) tout autant formés et diplômés.
Une conjoncture qui attise les velléités de pratiques dégradées
Au cours du temps, d’autres agents physiques, tels les ultrasons, les champs magnétiques, le froid, les micro-ondes ou les rayons gamma et alpha, entre autres, sont entrés dans la danse accompagnés de processus qualité très pointus pour en tirer le meilleur parti. La communauté radiologique semblait alors armée pour répondre de la meilleure des manières à la demande toujours croissante d’examens de plus en plus précis et de plus en plus variés.
Il aura fallu un changement de génération, une perte de sens des acteurs du soin et une conjoncture économique moins favorable, le tout renforcé par une pandémie mondiale comme jamais nous n’en avions connue, pour que tout se dérègle. La pénurie de professionnels, médicaux et paramédicaux, qui en est la résultante directe est aujourd’hui le prétexte à des dérives et à des changements de pratiques qui ne vont pas, c’est le moins que l’on puisse dire, dans le sens souhaité par les tutelles et la communauté soignante dans son ensemble.
Des dérives observées dans les processus d’acquisition d’images
Dans le domaine de la radiologie, nous voyons ainsi germer l’idée, çà et là, d’une prise en charge des patients à distance par des MERM actionnant plusieurs modalités d’imagerie en coupe dans leur cockpit. D’aucuns voudraient en effet utiliser des MERM devant une console pilotant plusieurs IRM ou scanners afin de préserver les niveaux de productivité qu’ils ont perdus à l’aune des événements récents. Tout se passe comme si le patient pouvait se contenter de se retrouver dans une machine sans qu’une personne compétente puisse le guider et le rassurer, sans compter le risque de fournir un examen à la qualité très précaire.
Pire encore, on nous rapporte des pratiques dégradées de radiologie conventionnelle réalisées par des intervenants, certainement de bonne foi, mais ignorant totalement les bonnes pratiques et qui mettent en danger l’intégrité physique des patients ainsi que leur propre Santé. Ainsi, certaines radiographies seraient pratiquées au lit du patient, aux moyens d’un appareil mobile, par des aides-soignants assistés de collègues maintenant une cassette ou un capteur plan contre le patient et se trouvant donc directement, et gratuitement, exposés à une dose significative de rayons X. De la radiologie de guerre, en quelque sorte, mais pas au milieu d’un conflit russo-ukrainien voire israélo-palestinien. Et que dire des doses administrées par des infirmiers de bloc qui, contre toute forme de légalité, actionnent les arceaux de radiologie sans en évaluer les conséquences pour les patients et pour eux-mêmes ? Car oui, il s’agit bien d’exercice illégal d’une profession réglementée.
Prendre garde à ce que l’audit par les pairs ne soit pas qu’une activité de façade
À une époque où les professionnels de Santé évoluent au sein d’un système qui a construit patiemment des référentiels d’activité et de compétences et qui croulent sous les procédures qualité, ces dérives semblent frappées du sceau de l’ignorance des responsables des centres qui les abritent, voire de la malhonnêteté des radiologues qui permettent que de telles aberrations aient lieu. Et alors que les acteurs du secteur sont appelés à participer, dans un futur proche, à des audits de pratiques effectués par les pairs, cette situation fait désordre si elle ne reflète pas un certain cynisme et une hypocrisie certaine de ceux qui en sont à l’origine.
Notre responsabilité est de rester très vigilants à la manière dont les choses vont évoluer, dans ce contexte, à moyen terme. Il serait dommage de mettre en péril les pratiques qualitatives de la majorité des acteurs de la radiologie à cause d’initiatives douteuses d’une minorité.
Bruno Benque