Édito - La pénurie de professionnels de Santé annonce des transhumances en Europe
MERCREDI 11 JANVIER 2023
Alors que le système de Santé français navigue à vue en tentant de juguler les conséquences d’une mauvaise planification des professionnels de Santé, la situation est souvent pire dans le reste de l’Europe. Les données diffusées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) attestent d’une situation proche de la rupture dans certains pays et annoncent des transhumances à travers le continent.

Le système de Santé français résiste tant bien que mal, en ce début d'année 2023, aux conséquences de la montée du vieillissement de la population et des maladies chroniques, alors que le nombre de professionnels de Santé ne cesse de diminuer au fil des mois. Il en résulte, c’est un fait établi aujourd’hui, une pénurie importante de médecins et de paramédicaux. Mais qu’en est-il chez nos voisins européens ?
Des taux de praticiens acceptables en Allemagne, en Grèce ou en Italie
Ce n’est pas mieux, voire pire, d’après les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) que Medscape a synthétisé dans un article récent et ciblant le Royaume-Uni, l’Espagne, la France, l’Allemagne et l’Italie. La moyenne européenne du taux de médecins est de 37 praticiens pour 10 000 habitants, seuil en-dessous duquel se trouve la France avec environ 33 médecins pour 10 000 habitants. En-dessous encore, on trouve le Royaume-Uni (30 pour 10 000). Les bons élèves sont l’Italie (41), l’Allemagne (45) ou l’Espagne (46). Bien que la Grèce connaisse un taux de praticiens élevé autour de 60 pour 10 000 habitants, elle est à la traine en termes de personnels infirmiers avec 80 IDE pour 10 000 habitants comme l’Espagne et l’Italie, alors que l’Allemagne (140) ou la Suisse, (180) sont en tête.
Ces statistiques ont été à l’origine de la formation de déserts médicaux à travers toute l’Europe, qui sont le résultat d’une mauvaise prévision des besoins dans les années 1980-90, mais également de politiques peu incitatives pour l’installation des praticiens dans ces régions sous-peuplées médicalement. Seule l’Allemagne a semble-t-il trouvé une parade à ce fléau, avec le dispositif de régulation des installations « Bedarfsplan », par lequel la Sécurité sociale ne conventionne les praticiens que s’ils s’installent dans les zones où le nombre de médecins par habitant n’atteint pas le seuil de densité supérieur de 10% au taux moyen.
Les soignants italiens et anglais fuient l’hôpital public
À l’hôpital également, le manque de personnel est général, renforcé, en France, par les départs en retraite, les suites de la crise Covid, les conditions de travail dégradées, la perte de sens. Cela semble pire en Italie, où, selon le Dr Pierino di Silverio, Secrétaire général du syndicat des hospitaliers publics ANNAO-ASOMED, « chaque jour, sept médecins quittent le service de santé national ». Et les prévisions annoncent, pour les cinq prochaines années, le départ d’environ 40 000 médecins du public à la retraite ou dans le privé. En Angleterre, c’est au niveau des personnels soignants que la situation est la plus grave, puisque, en 2022, 25 000 infirmiers ou sages-femmes ont démissionné, alors que 47 000 postes sont non pourvus, selon le Royal College of Nursing (RCN).
Un exode massif des professionnels espagnols, portugais ou grecs vers l’Europe du Nord
Ce sont, au total, quelques 132 000 postes qui sont vacants, dans tous les secteurs du système de santé public (NHS) en 2022, soit 25 % de plus qu’en 2021, les postes médicaux vacants atteignant le nombre de 10 000, soit une hausse de 32% en un an. Le Commons Health and Social Care Committee, lié au parlement britannique, évoque ainsi « la plus grande crise de main-d’œuvre de l’histoire du NHS ». En Allemagne, 90% des hôpitaux de plus de 50 lits annoncent une pénurie de personnel plus importante que d’habitude, avec des arrêts de travail ayant augmenté de 5 à 20 % en 2022. Mais ces pays, la main d’œuvre commence à affluer car l’exode est massif en Espagne, au Portugal ou en Grèce, ainsi que dans les pays de l’Est, où les contrats de travail sont précaires et les revenus très inférieurs à la moyenne.
« Les pénuries de personnel, un recrutement et une fidélisation insuffisants, la migration des travailleurs qualifiés, des conditions de travail peu attrayantes et le manque d’accès à des possibilités de formation continue sont autant de fléaux qui frappent les systèmes de santé », estime le Dr Hans Henri Kluge, directeur de l’OMS Europe. Il évoque une bombe à retardement qui pourrait « entraîner de lourdes conséquences pour la santé, des temps d’attente importants avant les soins, beaucoup de décès évitables, voire un effondrement des systèmes de santé ».
L'année 2023 sera-t-elle marquée par une transhumance des professionnels de Santé à travers l'Europe ? Les conséquences seraient alors désastreuses dans les régions les plus touchées par les pénuries, notamment au Sud.
Bruno Benque