Pr J-Paul Beregi : l'École de la Radiologie française élargira le champ de compétences de ses acteurs
JEUDI 18 FéVRIER 2021
Le Pr Jean-Paul Beregi (CHU de Nîmes) vient d’être élu à la Présidence du Collège des Enseignants en Radiologie de France (CERF). L’occasion pour nous de le rencontrer pour un entretien à bâtons rompus, pour évoquer les évolutions du troisième cycle de formation de la spécialité, des projets de recherche en radiologie française, de la fuite des cerveaux ou de la reconnaissance des manipulateurs, entre autres.

Thema Radiologie : Que ressentez-vous au moment de prendre la présidence du Collège des Enseignants en Radiologie de France (CERF) ?
Pr Jean-Paul Beregi : Je suis élu à ce poste pour trois ans mais ce n’est par une nouveauté puisque, selon les statuts du CERF, le président élu doit assurer la vice-présidence pendant le mandat précédent. J’ai donc eu tout le temps d’étudier les dossiers, c’est pourquoi je me sens prêt à assumer cette tâche. C’est, en fait, un engagement de six ans.
Et c’est un poste dont les prérogatives augmentent avec le temps, puisqu’aujourd’hui, en plus de gérer les dossiers inhérents à l’enseignement de la radiologie, nous devons traiter des dossiers envoyés par la Coordination Nationale des Collèges d’Enseignants en Médecine (CNCEM), aux demandes de nos membres et veiller à la bonne conduite des projets de recherche en radiologie.
"Le CERF passe aujourd'hui en mode professionnel, avec de nombreux dossiers à traiter"
T.R. : Sur le volet enseignement, quelles sont les nouveautés relatives à la réforme du troisième cycle ?
Pr J-P.B. : Une vraie dynamique s’est instaurée dans ce domaine, en particulier depuis la création du CNCEM. En radiologie, nous avons plus de 1 300 étudiants, une des plus gros collèges de spécialité. La réforme du troisième cycle est en cours avec la phase de consolidation qui amènera 40% des internes vers l’année optionnelle de Radiologie Interventionnelle Avancée (RIA). En novembre 2021 démarrera la première année de la phase de consolidation et de RIA. Nous avons notamment à assurer un nombre de postes suffisants pour qu’ils puissent aborder cette année sereinement.
T.R. : Le CERF est très impliqué désormais dans la recherche scientifique en imagerie médicale. Quels sont les domaines les plus prégnants aujourd’hui dans ce domaine?
Pr J-P.B. : Les projets de recherche sont très nombreux, mettant en jeu notamment des données multicentriques, car la concurrence internationale est rude et les volumes de données permettent d’obtenir des résultats plus convaincants. Nous intervenons pour proposer des supports de coordination de ces recherches. Nous allons mettre en place un site internet spécifique pour la recherche afin d’échanger sur les projets, les tarifications, d’intégrer également les travaux des manipulateurs. J’ajoute dans ce cadre que nous avons créé dernièrement un DU de recherche en radiologie pour les manipulateurs pour lequel nous avons de nombreuses demandes d’inscription.
Nous passons ainsi d’un mode style club à un mode professionnel avec des personnes employées à temps plein pour travailler sur nos diverses stratégies. Nous sommes seize dans le bureau et nous organisons des groupes de travail pour optimiser le temps de chacun, notamment sur le thème de la recherche. C’est dans ce cadre que nous avons créé, sous la houlette du Pr Jean-Michel Bartoli, mon prédécesseur, le Comité d’Éthique pour la Recherche en Imagerie Médicale (CERIM) qui s’assure de la pertinence et de la bonne conduite des projets de recherche en France. Il s’agit d’un gros travail, puisque nous recevons environ un dossier par semaine à traiter.
"Le CERF est partie prenante du grand projet de recherche européen ChAImeleon"
T.R. : Le CERF passe à l’étape professionnelle donc, mais comment est-il organisé aujourd’hui ?
Pr J-P.B. : Le nouveau bureau comporte huit femmes et huit hommes, âgés de 37 à 62 ans, dont 5 parisiens et 11 provinciaux. Nous avons donc fait le choix du rajeunissement et de l’ouverture. Je souhaiterais que cette ouverture concerne également les radiologues du privé, qui ne peuvent être que membres associés, afin d’améliorer la coopération public-privé. Mais cela passe par une modification des statuts, qui seront discutés à ce titre en janvier 2022.
Les ressources du CERF, puisque l’on passe à un mode professionnel et qu’il faut le financer, proviennent en grande partie de la Société Française de Radiologie (SFR), mais également des cotisations de ses membres, de l’Europe et des industriels via des travaux en coopération ou des actions de mécénat.
T.R. : Vous parlez d’une contribution européenne au financement du CERF. Est-ce en rapport avec le projet Horizon 2020 appelé aussi Projet ChAImeleon ?
Pr J-P.B. : Tout à fait. Le Projet ChAImeleon est un projet de recherche à l’échelle continentale qui met en jeu une base de données de 38 000 dossiers radiologiques dans 6 pays sur quatre types de cancer, la prostate, le sein, ainsi que le poumon et le colorectal qui sont coordonnés par la France. C’est en effet le Pr Mickaël Ohanna à Strasbourg qui coordonne le projet relatif au cancer du poumon et le Dr Marc Zins qui s’occupe de celui du cancer colorectal à l’Hôpital Paris St-Joseph. Le CERF coordonne en outre le Work package N°5 qui assure l’archivage et la mise à disposition des données images et autres, sous la direction du Pr Laure Fournier. J’ajoute que ce projet, qui se terminera en 2024, fait l’objet de la participation de la start-up française Medexprim.
"Je milite pour la reconnaissance de l'équipe médico-soignante en radiologie"
T.R. : On entend souvent souvent parler de la fuite des cerveaux dans le domaine scientifique en France. Qu'en est-il en radiologie ?
Pr J-P.B. : Je suis membre du Conseil National des Universités depuis trois ans. Nous voyons passer des jeunes de niveau exceptionnel qui sont bien identifiés et qui seront accompagnés par le CERF afin qu’ils puissent bénéficier des contacts adéquats, même au niveau international, pour développer leurs recherches. Nous veillons également à ce que l’attractivité des postes hospitalo-universitaires, tant en termes de qualité de vie au travail, de finances, etc., soit préservée. Mais il est certain que les investissements manquent dans le domaine de la radiologie. Les financements obtenus par l’INSERM, le CNRS ou autres, sont très peu souvent aiguillés vers notre spécialité, mis à part ceux émis par le CEA. D’autre part, nous n’avons plus, en France, d’industriel national comme peuvent l’être Philips pour la Hollande, Canon pour le Japon ou Siemens pour l’Allemagne.
Il n’empêche que nous ferons tout pour rétablir l’aura des cerveaux français et nous fondons quelques espoirs sur le Ségur de la Santé et les appels d’offres « Projets d’avenir » qui sont lancés. Je milite pour un nouveau démarrage, en France, de l’innovation en imagerie médicale.
T.R. : Vous avez parlé du DU Recherche pour les manipulateurs. Comment voyez-vous l’évolution de cette profession, en lien, peut-être, avec les pratiques avancées ?
Pr J-P.B. : C’est une question très vaste. Les pratiques avancées, la reconnaissance de soignant, les filières Master 1 et 2, je suis pour, cela me semble indispensable. J’en veux pour preuve l’engagement que nous avons pris très tôt, au CHU de Nîmes, pour les rendre compétents pour la pose de picc-lines. Mais il est primordial de considérer parallèlement l’équipe médico-soignante radiologique avec son aspect technique, bien entendu, mais aussi humain. J’ajoute ici que nous sommes en train de créer à Nîmes un nouveau DTS qui ouvrira en septembre 2021. C’est assez exceptionnel car cela fait des années que l’on n’a pas vu de création de ce type. J’espère que l’on pourra, en plus des enseignements académiques, y ajouter une touche innovante autour des applications informatiques, mais aussi mettre l’accent sur l’équipe médico-soignante en radiologie.
Dans le même ordre d’idées, nous souhaitons, au sein du CERF, mettre en place un École de la radiologie française qui, outre les caractéristiques propres à l’imagerie médicale diagnostique et thérapeutique, introduirait plus largement l’IA, les relations patients, la qualité de vie au travail ou le management par exemple. Et ce pour toutes les entités de l’équipe radiologique, sans différentiation publique ou privée. Alors oui, je milite pour une reconnaissance professionnelle des manipulateurs et une synergie avec les radiologues. Un « manipulateur avancé », oui, mais pas tout seul…
Propos recueillis par Bruno Benque