Les progrès de la Théranostique basée sur la dosimétrie
VENDREDI 09 DéCEMBRE 2022
Les applications de la thérapie radiopharmaceutique sont en plein développement. Dans un article publié dans la revue Cancer Imaging, le Pr Jean-Mathieu Beauregard dresse un inventaire de celles qui sont guidées par la dosimétrie pour des traitements plus personnalisés.

La thérapie radiopharmaceutique (Radio-Pharmaceutic Therapy - RPT) est en plein développement et révolutionne actuellement les soins oncologiques, notamment dans le cadre de la médecine des 4P, ou le critère Personnalisation est ici le plus prégnant.
Promouvoir la théranostique avec des dosimétries personnalisées
C’est ce à quoi le Pr Jean-Mathieu Beauregard, du Department of Medical imaging and Research center du CHU de Québec (Canada) s’attache à démontrer dans un article publié dans la Revue Cancer Imaging. L'objectif de la RPT est en effet de délivrer, chez un patient en oncologie, une quantité de rayonnement à la tumeur pour la guérir ou, à défaut, pour obtenir un contrôle prolongé de la maladie. La RPT se distingue de la plupart des autres médicaments anticancéreux de la chimiothérapie car elle cible les zones à traiter par l’imagerie et les traite donc via les rayonnements. C’est ce que l’on appelle la théranostique (contraction de thérapie et diagnostic).
Le Pr Beauregard rappelle une caractéristique essentielle de la RPT, son principe actif n'étant pas la molécule pharmaceutique elle-même, mais le rayonnement ionisant et les modifications cellulaires qui en résultent, notamment les dommages directs à l'ADN. Il s’agit donc de radiothérapie interne et ciblée via une voie biologique ou mécanique spécifique. Il note également que les principaux RPT sont toujours administrés de manière empirique, c'est-à-dire avec une activité administrée fixe par traitement à tous les patients. Cela va donc apparemment à l’encontre du principe de la médecine personnalisée. « À cet égard, la RPT est loin derrière la radiothérapie externe, où les traitements sont soigneusement adaptés aux besoins de chaque patient », remarque-t-il.
Des applications pour le foie et les lymphomes
C’est la raison pour laquelle il a souhaité, dans cet article, recueillir les expériences cliniques soutenant la personnalisation de la RPT basée sur la dosimétrie individualisée. La radio-embolisation à l’Ytrium 90 (90Y) est la plus connue certainement, utilisée dans la prise en charge des tumeurs malignes du foie, métastatiques ou Carcinomes Hépatocellulaire (CHC). L'étude DOSISPHERE-01 est présentée dans cet article, où l'activité est prescrite avec l'hypothèse qu'elle se répartira uniformément dans le volume hépatique perfusé. Avec des résultats qui, selon le Pr Beauregard, représentent probablement à ce jour « la preuve la plus convaincante de la supériorité d'un régime basé sur la dosimétrie par rapport à un régime empirique ».
Il évoque également la radioimmunothérapie du lymphome à l'aide d'un radiopharmaceutique anti-CD20, le 131I-tositumomab (Bexxar©), développée en tant que RPT basée sur la dosimétrie d'imagerie pour les patients atteints de lymphome non hodgkinien. Les données de cinq essais cliniques ont été compilées et ont conduit à l'approbation par la FDA du 131I-tositumomab, selon une activité diagnostique de 185 MBq et, dans un deuxième temps, d’une activité thérapeutique comprise entre 2 et 6 GBq. Contrairement au 131I-tositumomab, la radioimmunothérapie anti-CD20 au 90Y-ibritumomab (Zevalin©), pour traiter les lymphomes également, a été homologuée avec une prescription d'activité en fonction du poids (14,6 MBq/kg). Le 131I-tositumomab a une demi-vie biologique plus courte et variable associée à une longue demi-vie physique, ce qui entraîne une forte variabilité inter-patients de la dose absorbée spécifique au corps entier.
Soulager les patients aux métastases osseuses et traiter certaines tumeurs endocrines
La RPT avec des radiopharmaceutiques à visée osseuse peut soulager efficacement les patients présentant des métastases osseuses positives à la scintigraphie. Le Pr Beauregard décrit trois radionucléides utilisés dans ce cas, l'acide 153Sm-éthylènediaminetétraméthylène phosphonique (EDTMP), qui est un agent à base de phosphonate, ou des analogues du calcium, le chlorure de 89Sr, émetteur bêta, et le chlorure 223Ra, émetteur alpha. Une étude utilisant le 153Sm-EDTMP a, dans un premier temps, estimé la dose à la moelle osseuse à l'aide d'un recueil d'urine sur 5 heures pour en déduire la rétention corps entier. Une méthode basée sur l'imagerie, par injection d'une faible activité de 740 MBq 153Sm-EDTMP suivie de scintigraphies planaires du corps entier pour quantifier la dose absorbée par la moelle osseuse a été jugée comme plus pratique.
L’article traite d’autre part de la 131I-métaiodobenzylguanidine (MIBG), un précurseur d'amine radiomarquée, utilisée pour imager et traiter certaines tumeurs neuroendocrines. Mais c’est le 177Lu-DOTATATE (Lutathera©) qui est le plus présent dans la littérature scientifique pour ce type de lésions. Il relate notamment l’essai NETTER-1, international multicentrique de phase 3, dans lequel le 177Lu-DOTATATE est associé à l'octréotide à action prolongée et propose un résumé de l'expérience des trois groupes qui ont rendu compte de la PRRT personnalisée basée sur la dosimétrie avec le 177Lu-DOTATATE.
La décennie actuelle verra sans aucun doute, selon le PR Neauregard, une croissance phénoménale dans le domaine de la RPT, qui devrait la mettre au même niveau que celle de la radiothérapie externe : personnalisée et guidée par la dosimétrie. Une démonstration éloquente a été faite que la radioembolisation personnalisée est un meilleur traitement que l'approche standard conservatrice, et cela doit maintenant être démontré pour les RPT systémiques. Et il faut considérer, enfin, la RPT guidée par dosimétrie comme adaptée à la diversité des patients car elle module avec précision l’administration de rayonnement, ce qui est un avantage théorique clair par rapport à la RPT à activité fixe.
Bruno Benque avec Cancer Imaging