Dr J-P Masson : les acteurs du secteur auront raison de la financiarisation de la radiologie
LUNDI 24 AVRIL 2023
Quelques semaines après sa réélection à la Présidence de la Fédération Nationale des Médecins Radiologues, nous avons rencontré le Dr Jean-Philippe Masson pour un tour d’horizon de l’environnement radiologique français. La pertinence des actes, la pénurie de praticiens et de paramédicaux, la financiarisation de la radiologie, les dépistages organisés du sein et du poumon sont parmi les thèmes que nous avons abordés à bâtons rompus.

Thema Radiologie : Vous venez d’être élu à la Présidence de la Fédération Nationale des Médecins Radiologies (FNMR) pour un quatrième mandat consécutif. Quel bilan pouvez-vous tirer de la période écoulée pour la communauté radiologique ?
Dr Jean-Philippe Masson : Cette période a malheureusement été tronquée par la crise sanitaire qui a engendré un ralentissement général des actions entreprises et des réformes entérinées. Les acteurs institutionnels avaient d’autres chats à fouetter et cela nous donne une sensation d’inachevé. Toutefois, les relations avec la CNAM se sont un peu apaisées, bien que les demandes qui émanent de cette institution sont à traiter dans les 24 ou 48h ce qui est impossible à réaliser étant donné que nous devons, pour toute action, enregistrer l’aval de nos adhérents.
"Les bons résultats liés à la pertinence des actes de radiologie doivent faire l'objet d'un entretien de fond"
T.R. : Le fameux article 99, qui donnait toute latitude au Directeur de la CNAM de fixer la valorisation des forfaits techniques de l’imagerie en coupe, a finalement été abrogé en échange de quoi les radiologues doivent redoubler d’attention quant à la pertinence des examens. Comment avez-vous géré cette contrainte ?
Dr J-P.M. : Pour assurer une pertinence des actes d’imagerie satisfaisante, il faut impliquer l’ensemble des acteurs de la chaîne, y compris les patients, par des actions d’information ciblées et récurrentes, ce qui tarde à être mis en place. À la FNMR, sur le volet « pertinence de l’imagerie de la lombalgie », nous avons organisé des sessions de formation des médecins prescripteurs en lien avec le guide de bon usage de l’imagerie. Nous participons également à des groupes de travail en compagnie des généralistes et de la CNAM notamment. Les résultats sont encourageants car le nombre d’actes, en particulier pour la lombalgie, a fortement chuté. Mais il est essentiel d’entretenir cette tendance et de renouveler les actions d’information.
T.R. : Nous avons vu, en fin d’année 2022, apparaître une norme AFNOR de qualité des centres de radiologie. Comment la certification qui en découlera va-t-elle se mettre en place ?
Dr J-P.M. : Nous allons démarrer des formations pour les auditeurs, mises en place par une équipe pilotée par mon confrère et Vice-Président de la FNMR Jean-Charles Leclerc. Il s’agira de préparer les premiers audits des centres de radiologie qui nous permettront d’adapter le processus et de faire évoluer le référentiel si besoin. Des radiologues et des Manipulateurs d’électroradiologie médicale (MERM) seront formés à ces audits, voire des physiciens pour la radioprotection. Vous avez pu constater qu’un référentiel métier était également élaboré, sur le volet des compétences de chaque professionnel médical. Ce référentiel a été sollicité par l’Ordre national des médecins afin de définir plus précisément les domaines d’intervention des différentes spécialités.
"La baisse de rentabilité des cabinets et l'action des pouvlirs publics auront raison de la financiarisation de la radiologie"
T.R. : Abordons si vous le voulez bien le problème de la financiarisation de la radiologie. Il semble que la tempête annoncée il y a deux ans se soit un peu calmée. Comment envisagez-vous l’avenir sur ce thème ?
Dr J-P. M. : Vous avez raison de dire que ce problème s’est atténué, et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les charges des cabinets de radiologie sont en train d’exploser, sous l’effet conjugué de la hausse des prix de l’énergie et des matériels, ainsi que de la masse salariale qui augmente pour satisfaire au Ségur de la Santé. Du coup, les cabinets sont moins rentables, ce qui détourne l’attention des fonds de pension susceptibles de les racheter. Ensuite, nous assistons à une résistance forte des radiologues eux-mêmes, notamment les plus jeunes d’entre eux, qui sont à l’origine de l’association Corail, soutenue d’ailleurs par la FNMR, mais également à une résistance des pouvoirs publics qui se sont prononcés contre une telle évolution pour éviter que la radiologie ne connaisse pas le même sort funeste que celui de la biologie.
Dans ce cadre, le Gouvernement a publié l’Ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées qui a pour but de durcir l’entrée des financiers dans les sociétés de radiologues, de vétérinaires, d’anatomo-pathologistes ou d’avocats notamment. Il s’agit de stopper les pratiques d’acquisition par des financiers qui obligent les radiologues à payer les frais juridiques de ces transactions, de réinvestir dans leur outil de travail et dans la société d’investissement, ce qui limite, au final, le capital qui leur reste.
"Nous lançons des formations en collaboration avec la SFR pour expérimenter à grande échelle le dépistage du cancer su poumon par TDM low dose"
T.R. : Un autre problème récurrent dans la communauté radiologique est la pénurie de radiologues et de MERM. Que faire pour redresser la situation ?
Dr J-P. M. : Nous payons des décennies de numérus clausus qui ont limité le nombre de médecins et le numérus apertus décidé dernièrement par le Gouvernement n’est pas suffisant pour combler le retard, notamment car la capacité d’accueil des universités n’est pas extensible à souhait. C’est la même chose pour les MERM, avec des instituts de formation qui ont bien augmenté le nombre de leurs étudiants mais dans des proportions trop limitées.
Nous essayons, à notre niveau, d’ouvrir des écoles de « DTS imagerie médicale » en sollicitant le réseau libéral pour offrir aux étudiants MERM des terrains de stage. Nous sollicitons les pouvoirs publique, d’autre part, pour que soient assouplies les règles de circulation des MERM à travers l’Europe via des autorisations liées à leur spécialité en imagerie médicale, en médecine nucléaire ou en radiothérapie. Ce problème engendre par ailleurs des pratiques où un seul MERM pilote, depuis un « cockpit », plusieurs modalités d’IRM à distance. Nous condamnons ces pratiques qui ne favorisent pas une bonne prise en charge radiologique des patients.
T.R. : Pour finir, nous souhaiterions connaître votre réaction aux dernières annonces relatives aux dépistages du cancer du sein ainsi que du cancer du poumon. Quelle est votre position sur ces deux thématiques ?
Dr J-P. M. : Concernant la décision de la HAS, dans le cadre du dépistage du cancer du sein, de valider la deuxième lecture à partir des images 2Ds, il n’y a pas d’ambiguïté pour nous : cette pratique est inappropriée et ne prend pas en compte de la réalité du terrain. Pour celui du cancer du poumon, en revanche, nous applaudissons des deux mains et n’attendrons pas les recommandations de l’INCa pour nous mettre en ordre de bataille. Nous lançons, via notre plateforme Forcomed, en collaboration avec la ociété Française de Radiologie, des sessions de formation pour les radiologues afin de pouvoir expérimenter à grande échelle un dépistage par tomodensitométrie low dose. Il s’agit d’une action de Santé publique pour laquelle nous devons être personnes ressources.
Propos recueillis par Bruno Benque