Enquête sur la détresse morale des radiologues américains
VENDREDI 07 AVRIL 2023
Selon une étude publiée dans l'American Journal of Roentgenology (AJR), la détresse morale des radiologues est généralement liée à des causes systémiques au sein des centres de radiologie et des établissements de Santé et contribue à leur mobilité. La charge de travail et le manque de soutien administratif est le plus souvent évoqué pour expliquer ce phénomène qui pourrait être enrayé, selon les sondés, par une meilleure information des dirigeants d’établissements ainsi que par un dialogue inter-spécialités plus fourni.

L'insatisfaction au travail et l'épuisement professionnel sont des réponses affectives à l'environnement de travail. L'insatisfaction au travail se produit lorsque les attentes des individus quant à ce que devrait être leur travail ne sont pas satisfaites, ce qui entraîne des sentiments de déception, d'amertume et de manque d'intérêt. L'épuisement professionnel peut quant à lui entraîner une variété de résultats négatifs, notamment l'épuisement émotionnel, le cynisme, le détachement du travail et une baisse de la productivité.
Un conflit entre les valeurs fondamentales des médecins et leur expérience quotidienne
L'épuisement professionnel au travail est courant chez les radiologues, provoqué notamment par trop de tâches administratives, le manque de respect de la part des administrateurs ou du personnel, les longues heures de travail et le manque de contrôle sur l'environnement de travail. Il en découle souvent de la détresse morale, une notion décrite pour la première fois en 1984 par le bioéthicien Andrew Jameton, qui l’a définie comme se produisant lorsque « on sait ce qu'il convient de faire pour le patient, mais les contraintes institutionnelles rendent impossible la poursuite de cette action ». Si elle est récurrente, elle peut entraîner un préjudice moral, avec le développement de sentiments de culpabilité, de méfiance, de doutes sur ses valeurs personnelles, de perte de sens et de but, voire de dénigrement personnel.
Les études sur la détresse morale dans les soins de santé se sont généralement concentrées sur le personnel infirmier, les travailleurs sociaux, les pharmaciens, les étudiants en médecine et les stagiaires. Seulement 4 % des études sur la détresse morale chez les soignants ont évalué la détresse morale chez les médecins, qui considèrent généralement leur profession comme une vocation que les contraintes institutionnelles mettent à mal, ce qui conduit à un conflit entre les valeurs fondamentales du médecin et son expérience quotidienne. Si ce conflit dure, l'épuisement professionnel guette et l’envie de quitter son poste apparaît. Et lorsque les médecins envisagent de quitter leur poste en raison d'un épuisement professionnel autodéclaré, 50 % le feront au cours des 2 années suivantes, selon certaines études.
Une étude tente d’identifier les causes profondes de la détresse morale des radiologues
Dans ce contexte, quelles actions développer afin de créer des contre-feux pour réduire la détresse morale et l'épuisement professionnel qui en résulte ? Et par là même, comment assurer la rétention des radiologues dans les établissements de Santé ? C’est la question à laquelle des chercheurs américains ont tenté de répondre dans une étude publiée dans l’American Journal of Roentgenology (AJR). Étant donné que de nombreux centres de radiologie sont confrontés à des demandes cliniques croissantes et à des pénuries de personnel, cette étude a essayé d'évaluer la fréquence et la gravité avec lesquelles les radiologues éprouvent de la détresse morale. Ils essaient également d'explorer les causes profondes et les actions à mener pour enrayer la détresse morale en radiologie.
« Une action urgente est requise, au sein des directions des centres de radiologie et des établissements de Santé pour faire face à la détresse morale, car les radiologues pratiquent généralement dans des environnements contraires à leurs valeurs fondamentales en tant que médecins », remarque le Dr Bettina Siewert, MD, du Beth Israel Deaconess Medical Center à Boston (Massachussets – USA), auteur correspondant de cette étude.
La charge de travail et le manque de soutien administratif parmi les causes de détresse mortale
L'enquête nationale réalisée par le Dr Siewert et son équipe a intégré l'échelle de détresse morale validée pour les professionnels de santé, ainsi que des questions supplémentaires et des adaptations pour l'imagerie médicale en particulier. Les répondants ont été invités à évaluer 16 scénarios cliniques en fonction de la fréquence et de la gravité de la détresse morale. Envoyée par e-mail à 425 membres de la Radiological Society of North America (RSNA) le 10 mai 2022, la mesure de la détresse morale pour les professionnels de la santé (MMD-HP) a été calculée pour chaque répondant sous la forme d'un bilan de la détresse dans chaque scénario proposé (score maximum possible 256).
Les résultats montrent que 98 % des radiologues interrogés à l'échelle nationale ont signalé au moins une forme détresse morale dans au moins un scénario. De plus, la détresse morale a poussé 18 % des répondants à quitter un poste clinique. Les scénarios présentant les niveaux de détresse les plus élevés étaient des volumes de cas trop élevés pour une lecture sécurisée, des volumes de cas élevés empêchant l'enseignement des internes et un manque général d'action et de soutien administratifs. De plus, 91 % ont sélectionné au moins une réponse pour les actions possibles à mener pour enrayer cette tendance. Parmi celles-ci, 71% ont cité l’information les dirigeants sur les sources de détresse morale, 44% évoquent l’opportunité d'engager un dialogue inter-spécialités, 44 % et 18% souhaitent inclure des questions de bioéthique dans la formation des internes, notamment.
Bruno Benque avec AJR